Comment vous est venue l’idée de produire des baskets en polyester recyclé ?
Nous avons eu le déclic à l’été 2018, lors d’un séjour à Marseille. Nous avons constaté de visu la quantité de déchets plastique dans la mer. Or nous savions qu’il existait de nombreuses réutilisations possibles du plastique et notamment du PET (polyéthylène téréphtalate). La basket nous est apparue être un débouché assez idéal pour le recyclage du PET (il faut 8 bouteilles de 50cl pour faire une paire), elle s’adresse au plus grand nombre et c’était un produit qui nous parlait.
En quoi le polyester constitue-t-il une matière intéressante à recycler ?
Le PET recyclé a les mêmes propriétés qu’un PET vierge. Il peut être transformé et valorisé sous de nombreuses formes, du tissu au simili cuir.
Pouvez-vous nous expliquer la chaine de valeur de cette basket?
Il était important pour nous de savoir exactement d’où venaient les bouteilles en plastique, d’avoir un impact sur cette pollution que l’on constate au quotidien. Nous avons donc exclu d’avoir recours à du PET déjà recyclé. Faute d’avoir trouvé une filière d’approvisionnement en bouteilles plastique usagées qui nous convenait, nous l’avons créée avec l’aide et le soutien du comité des pêches de Marseille. 10 matelots et patrons pêcheurs du port récoltent pour nous le plastique de Méditerranée en trainant derrière leur bateau notre chalut gonflable équipé d’un filet à larges mailles. Ils connaissent les zones, les courants, où trouver les déchets.
Revenus au port, ils les trient à la main. D’un côté les bouteilles en PET transparent qui seront transformées en textile, de l’autre tout le reste : les bouteilles en polyuréthane, en polypropylène, en plastiques colorés, les bouchons et les étiquettes… cela servira à fabriquer les semelles. Tout est broyé séparément en paillettes sur le site même, car nous avons investi dans deux broyeuses (en une semaine nous pouvons broyer 500kg de plastiques).
Nous envoyons toutes les paillettes colorées en plastiques mélangés chez notre fournisseur au Portugal qui les réparti sur du polyuréthane recyclé pour en faire des semelles. Nous réservons les paillettes 100% PET transparent à la confection du fil en polyester. Il est tricoté en Rhône-Alpes, dans un maillage assez dense. Le tricot obtenu est ensuite recouvert d’une patine à base d’eau. Cette technique lui donne en surface un aspect cuiré typique de la Marseille 21.
La teinture se fait en France et l’assemblage à la main dans un atelier artisanal au Portugal. Nos lacets sont fabriqués en France à partir de bouteilles plastique qui viennent de Savoie. Tout est certifié ECOCERT et GRS (Global Recycled Standard) et ce qui n’est pas utilisé est envoyé dans un centre de tri de la région.
Quel est l’impact en économie de CO2 de ce recyclage ?
Pour ce qui est de l’impact environnemental au sens large, il est mesurable par les volumes de plastique qui sont repêchés, mais nous n’avons pas encore calculé l’impact en termes de CO2, faute de temps et de moyens humain.
La Marseille 21 est-elle conçue différemment pour durer ?
Il était important pour nous que la basket plaise pour ce qu’elle est, et pas uniquement pour ses qualités environnementales. Car la paire la plus écologique est celle que vous pouvez garder, celle qui s’affranchit de l’achat bonne action mais qui ne sort jamais du placard. C’est dans cette optique que nous avons fait en sorte que la Marseille 21 soit confortable, aussi respirante qu’une paire de baskets en cuir véritable, et solide. Elle est donc à la fois cousue et collée (avec des colles sans solvant) au niveau de la semelle. Nous avons fait une trentaine de prototypes, de nombreux tests de durée et de tenue.
Quelles sont les limites techniques ?
Aujourd’hui le PET est bien recyclé. Mais nous aimerions savoir valoriser et transformer tout le reste des déchets et des matériaux que nous remontons dans nos filets et que nous entreposons au port.
Comment organisez-vous la récupération des baskets usagées ?
Nous avons un partenariat avec l’usine de tri Gébetex en Normandie. Elle récupère et broie en poudre les baskets que lui envoient les clients. Cette poudre entre ensuite dans la composition de matériaux de construction. A terme, nous aimerions que les baskets usées réintègrent une chaine de production de baskets. Cela fait partie des pistes ouvertes que nous creusons.
Comment est accueilli le produit par les consommateurs ?
Nous avons commencé à communiquer sur le projet avec un post LinkedIn qui a très bien marché : 3 millions de vues, 65000 likes sur un simple croquis. Cela nous a conforté sur le fait que le public avait besoin de transparence notamment sur la provenance du PET à recycler et sur sa récupération. Notre filière et sa traçabilité a rendu le concept du « recyclé » moins nébuleux et plus concret. En une heure, nous avons vendu sur Ulule les 400 paires prévues et 2883 paires au total. Nous avons eu aussi quelques récompenses institutionnelles. Aujourd’hui nous avons une note de 4,7/ 5 de retour des clients. C’est important pour nous de savoir qu’ils ne sont pas séduits par le projet seul mais par la basket elle-même. Leurs retours orientent la conception de nos nouveaux modèles. L’aspect cuir était par exemple une demande des clients. Nous restons très à l’écoute.
Quelle est votre prochaine étape ?
Nous allons lancer d’autres produits, en commençant par des sacs à dos, qui vont nous permettre d’offrir davantage de débouchés aux plastiques que l’on récolte et de consommer plus de bouteilles récupérées. Il faut 22 bouteilles de 50 cl pour fabriquer un sac à dos. Nous allons aussi essayer d’avoir des designs plus identitaires, nous espérons ainsi toucher un public le plus large possible. Enfin, nous voulons continuer à développer notre activité sur le port, pourquoi pas en y intégrant notre propre filature ?
Merci à Alexis TROCCAZ, Cofondateur de Corail.